Il
y a quelques mois de cela, une collègue m’a invitée à assister au concert d’un
artiste montréalais de passage à Londres. Dans le train, en route vers la
station de métro, elle me racontait l’expérience qu’elle a vécue en tant qu’assistante
de langue anglaise en France alors qu’elle avait mon âge. «That was many years ago» m'a-t-elle dit en souriant.
Elle
me disait avoir adoré son expérience, mais que son seul regret avait été de ne
pas s’être assez imprégnée de la langue française. Elle passait tout son temps
en compagnie d’une assistante de langue allemande qui parlait parfaitement
anglais, alors par défaut les deux conversaient constamment dans cette langue.
Après
m’avoir exprimé ce regret, elle s’arrêta un instant pour réfléchir et me dit :
«But quite frankly, I didn't really enjoy speaking in French. Just
because I felt I was not myself when I was speaking French.»
Elle,
à l’époque, jeune assistante anglaise de vingt et un ans, ne se sentait pas en
confiance lorsqu’elle devait s’exprimer en français. Sur le moment, lorsqu’elle
m’a raconté ce souvenir, j’ai pensé qu’il est tout à fait normal de ne pas être pleinement confiant lorsqu’on
parle une langue qui n’est pas la nôtre.
Ce
n’est que récemment, lorsqu’un de mes élèves m’a demandé si je préférais parler
français ou anglais que je me suis mise à réfléchir à ce que ma collègue m’avait
dit. Ce qu’elle ressentait à l’époque, allait au-delà de la facilité à s’exprimer
dans une autre langue et de la confiance que l'on a en nous-même lorsqu'on le fait. En fait, cela relevait d’un élément purement
existentiel, à savoir le fondement de notre être.
Voyez-vous,
je me suis arrêtée sur cette question (il y a tellement de pluie ici qu’il faut
être créatif en matière de passe-temps) et j’y ai vu une toute nouvelle interprétation.
Est-ce que notre langue définit ce que nous sommes? Ou plutôt, est-ce que le
fait de s’exprimer dans une autre langue que la nôtre nous oblige à développer
un tout nouvel aspect de notre personnalité, de notre être?
Si
j’essaie de me souvenir de la personne que j’étais lors de mon arrivée ici en
octobre, j’en vois une toute différente de celle d’aujourd’hui. C’est vrai qu’une expérience
comme celle-ci ne peut faire autrement que nous changer, mais l’une des
principales raisons derrière ce changement est sans aucun doute l’adaptation linguistique.
C’est
vrai, en parlant soudainement plus anglais que français avec les gens qui m’entourent,
j’ai dû développer un tout nouveau instinct de survie. Ayant une personnalité
sociable, j’ai vite fait d’apprendre à entretenir des conversations en anglais.
Si je ne l’avais pas fait, l’un de mes principaux traits de personnalité et de
caractère aurait été effacé et je me serais dès lors vue malheureuse.
Voilà
donc un accomplissement dont je suis fière, celui de pouvoir m’exprimer
aisément en anglais. Malgré cela, je ressens et comprends parfaitement ce que
ma collègue tentait de m’exprimer.
Mon
vocabulaire limité, mes erreurs de grammaires et ma mauvaise prononciation de
certains mots sont tous des éléments auxquels je dois penser en permanence
avant de parler avec quelqu’un en anglais. Mes phrases ne peuvent pas être
aussi complexes que celles que je formule en français. Aussi, l’intonation que j’utilise
en anglais est beaucoup moins théâtrale ou expressive que celle qui m’est
propre dans ma langue maternelle. Souvent, lorsque je raconte une anecdote à
une amie anglaise, je me vois constamment interrompue par mes propres erreurs
que je tente de corriger pendant mon discours. Je dois aussi souvent m’arrêter
pour penser aux mots que je veux utiliser, à des synonymes de ceux-ci et à des explications
de ceux que je ne connais pas afin que mon interlocuteur puisse me comprendre.
Après
toutes ces constatations, je me compare maintenant à ma collègue. Oui, moi aussi, en parlant anglais, je ne suis pas la même que lorsque je m’exprime en
français. Mais contrairement à ma collègue, je ne vois pas cette réalité d’une
manière négative. Je ne crois pas que m’exprimer en anglais m’empêche
d’être moi-même, mais m’oblige plutôt à développer une nouvelle moi ou une
nouvelle partie de mon être.
Je
ne sais pas ce que mon étudiant de dix-sept ans dirait si je lui révélais que
parler anglais entraîne un dédoublement de personnalité chez son assistante de langue étrangère. Peut-être voudrait-il cesser d’apprendre le français ou au
contraire, peut-être serait-il curieux de voir où son apprentissage de cette langue le mènerait.